Impôts : le système qui enrichit Bernard Arnault
Une enquête de Cash Investigation révèle les mécanismes qui permettent au PDG de LVMH de réduire drastiquement sa facture fiscale grâce au système des holdings.
Même lorsque la fortune atteint des sommets vertigineux, certains cherchent encore à l’accroître. Bernard Arnault, première richesse de France et l’un des hommes les plus aisés de la planète, n’échappe pas à cette quête inlassable de profits.
Le patron de LVMH n’hésite pas, selon l’enquête de Cash Investigation diffusée le 4 décembre, à recourir à des montages fiscaux sophistiqués pour y parvenir.
En 2023, ses revenus globaux sont estimés à 3,17 milliards d’euros, combinant un salaire de plusieurs millions et une immense manne de dividendes issus de ses participations dans le groupe qu’il dirige. Pourtant, seule une fraction de ces sommes a effectivement été soumise à l’impôt.
Ainsi, à peine 30 millions d’euros ont transité sur ses comptes personnels, une somme grevée par la flat tax de 30%, c’est-à-dire le prélèvement forfaitaire unique s’appliquant aux revenus du capital.
Les holdings comme levier d’optimisation
Le reste des dividendes est logé dans une holding, du nom de cette structure dont la vocation est de détenir et administrer des sociétés au nom d’un particulier. Ce mécanisme permet d’éviter de classer ces dividendes dans les revenus personnels soumis à la taxation classique de 30%.
En effet, lorsqu’une holding perçoit des dividendes d’une entreprise dont elle est actionnaire, elle bénéficie d’un régime fiscal exceptionnellement favorable : le taux d’imposition tombe alors de 30% à seulement 1,25%. C’est précisément cet écart qui fonde la logique de l’optimisation pratiquée.
« L’enjeu, c’est quoi ? C’est d’avoir un revenu suffisant pour financer son mode de vie, explique l’économiste Lucas Chancel, professeur à Sciences Po et codirecteur du Laboratoire sur les inégalités mondiales à l’École d’économie de Paris. Une fois que vous avez retiré 30 millions d’euros d’une holding, votre train de vie est déjà plus que confortable. Inutile de rapatrier un ou deux milliards sur un compte personnel. Laisser le reste au sein de la société permet de réduire considérablement la facture fiscale ».
Une taxation divisée par dix
En appliquant le régime ordinaire à ses 3,17 milliards d’euros de revenus, Bernard Arnault aurait dû s’acquitter d’environ 960 millions d’euros d’impôts — près du tiers de ses gains annuels. Mais entre la théorie fiscale et la réalité des pratiques des ultra-riches, un fossé considérable s’est creusé, rendu possible l’outil juridique de la holding, qui faut-il le souligner, reste parfaitement légal.
De fait, lorsqu’on additionne l’impôt payé sur les 30 millions d’euros sortis personnellement (taxés à 30%) et celui acquitté par les holdings sur les milliards restants (taxés à 1,25%), le constat est sans appel : le PDG paie environ dix fois moins d’impôts que ce qu’il devrait acquitter s’il était imposé selon le régime de droit commun.
Si cette révélation peut surprendre le grand public, elle n’étonne guère les spécialistes de la fiscalité. « Les chercheurs qui s’intéressent à ces questions ont démontré depuis de nombreuses années maintenant que le taux d’impôts des milliardaires et des centimillionnaires est vraiment très faible, beaucoup plus faible que ce qu’il serait s’ils jouaient les règles du jeu fiscal comme le commun des mortels », rappelle Lucas Chancel.
