Les corsaires de la Bourse
Dans l’univers tumultueux des marchés financiers, certains naviguent à contre-courant, pariant non pas sur la hausse des actions, mais sur leur chute vertigineuse. Plongée au cœur d’une pratique autant controversée que nécessaire.
Imaginez que vous empruntiez le vélo de votre voisin, que vous le vendiez tout de suite, puis que vous attendiez que le prix des vélos chute sur le marché pour en racheter un moins cher et le rendre à votre voisin afin de garder la différence comme profit.
C’est à peu près ainsi que fonctionne le mécanisme des ventes à découvert dans le domaine de la Bourse. Avec cependant, un détail supplémentaire d’importance : vous vous assurez au préalable de la baisse effective du prix des vélos. Pour ce faire, diverses méthodes sont mises en œuvre par les vendeurs à découvert.
Ces investisseurs d’un genre particulier, encore appelés « short sellers » ou « shorteurs », s’appuient notamment sur la dénonciation des travers et autres anomalies prétendument détectés auprès des entreprises dont les titres sont ciblés. Une stratégie axée sur la scrutation du décalage potentiel entre le discours public et la situation réelle du groupe.
Cette manœuvre, surtout lorsqu’elle est bien calibrée, s’avère très redoutable, car susceptible, en quelques jours, d’anéantir des années de construction d’image et de valorisation boursière.
Des cas d’effondrements boursiers retentissants
Le géant des laboratoires d’analyses Eurofins l’a ainsi appris à ses dépens fin juin 2024, lorsque Muddy Waters, dont le nom évoque les « eaux troubles » propices à la pêche selon un proverbe chinois comme le relève Le Monde, s’est vu accusé d’être « optimisé pour la malversation ».
À l’origine, un rapport de trente-cinq pages produit par le très réputé short seller américain Carson Block, connu notamment pour avoir provoqué la chute de Casino neuf ans plus tôt, après avoir pris une position vendeuse sur les titres d’Eurofins.
Conséquence : un effondrement de 17% de celle-ci, avec l’évaporation de 1,7 milliard d’euros de valeur boursière. Plus retentissant, l’homme le plus fortuné d’Inde, Gautam Adani, a lui vu son titre fondre de 153 milliards de dollars (quelque 141 milliards d’euros), soit près de 50 %, après la charge du fonds Hindenburg Research qui l’accusait de « fraude comptable et de manipulation boursière ».
David contre Goliath ou avide de gains sans scrupules ?
Ces épisodes assimilables au combat entre David – les vendeurs à découvert sont souvent des entités de très modeste envergure – et Goliath ne sont évidemment pas toujours très bien perçus. D’autant que les shorteurs militent ouvertement pour la baisse des actions des entreprises cibles, et donc contre les intérêts des actionnaires.
« Tout le monde vous déteste, et on vous suspecte de diffuser des informations fausses ou trompeuses, car il y a un intérêt financier à charger la barque avec des révélations tonitruantes », témoigne dans Le Monde Lionel Melka, spécialiste des fusions-acquisitions et coauteur du livre Les Fonds activistes publié en 2021.
Les vendeurs à découvert sont-ils des « Robins de la Bourse » ou seulement des « avides de gains sans scrupules » ? La vérité se situe probablement quelque part entre ces deux extrêmes.
Il n’en reste pas moins vrai que la pratique, bien que décriée, participe d’une certaine manière à une forme d’équilibrisme dans un secteur de la Bourse où le trop-plein d’optimisme peut s’avérer tout autant dévastateur à long terme que le pessimisme.